UNE ŒUVRE EN DÉTAILS

« Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte » de Seurat : un chatoyant manifeste du pointillisme

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Peintre passionné par les sciences optiques, Georges Seurat s’est détaché de l’héritage impressionniste pour trouver sa propre voie dans le pointillisme. Mort à seulement 31 ans, il a signé quelques-uns des plus grands chefs-d’œuvre des avant-gardes, parmi lesquels Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte, véritable manifeste de la vie moderne. On fait le point !
Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte
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Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte, 1884–1886

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Paisible après-midi

C’est un beau dimanche ensoleillé à la Grande Jatte. Cette petite île de l’ouest parisien, qui borde Neuilly et Levallois, a des allures de petite scène de théâtre où se côtoient une quarantaine de personnages. Seurat, qui peint cette monumentale toile de deux mètres sur trois à 25 ans, se fait ici le témoin de la vie moderne. Présentée lors de la huitième exposition impressionniste (la dernière du groupe), l’œuvre n’a pas manqué de faire scandale. « Des points, des virgules, des points-virgules… » : certaines critiques ont particulièrement moqué la technique singulière de Seurat, qui se détache alors de l’impressionnisme pour embrasser pleinement le pointillisme.

Huile sur toile • 207,6 cm × 308 cm • Coll. Institut d'art de Chicago • © Wikimedia Commons

Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte (détail)
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Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte (détail), 1884–1886

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Un manifeste pointilliste

Héritier des impressionnistes, Seurat entend bien toutefois renouveler son approche de la peinture en s’appuyant sur la science. Passionné par les sciences optiques, il puise dans les travaux du chimiste Michel-Eugène Chevreul et du physicien américain Ogden Rood une nouvelle manière de peindre : au lieu de mélanger les couleurs primaires sur sa palette, il les appose par petites touches, côte à côte, sur la toile. Et c’est l’œil du spectateur qui, lorsqu’il se tient à bonne distance du tableau, fait le travail ! « Certains disent qu’ils voient de la poésie dans mes peintures, je ne vois que de la science », observait Seurat.

Huile sur toile • 207,6 cm × 308 cm • Coll. Institut d'art de Chicago • © Wikimedia Commons

Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte (détail)
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Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte (détail), 1884–1886

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Fragment de la vie moderne

Seurat reprend ici un thème cher aux impressionnistes : les bords de Seine, auxquels il avait déjà consacré Une baignade à Asnières (1883–1884), tout juste achevé. Le peintre se place cette fois de l’autre côté du fleuve, sur l’île de la Grande Jatte. À la fin du XIXe siècle, cette petite île de la banlieue ouest de Paris est connue pour être un lieu de rendez-vous où vient se détendre la classe moyenne. Des bourgeois en haut-de-forme y côtoient des canotiers, des soldats en vadrouille, des amoureux, un ouvrier en casquette et même un musicien. Tout ce petit monde cohabite paisiblement, dans ce qui ressemble à un paysage d’Arcadie.

Huile sur toile • 207,6 cm × 308 cm • Coll. Institut d'art de Chicago • © Wikimedia Commons

Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte (détail)
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Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte (détail), 1884–1886

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Des personnages figés

Dans cette immense composition, un sentiment d’harmonie prédomine. Toutefois, on remarque un détail amusant : tous les personnages (hormis le chien et la petite fille en robe rouge qui s’élance au fond de la toile) sont comme figés ! De même, on observe aucune interaction, chacun semble prisonnier de son intériorité. Impossible ou presque de lire une quelconque expression sur leur visage : ils sont pour la plupart représentés de profil, voire de dos. Seule une fillette, placée au centre de la composition, toise le spectateur silencieusement… La critique goûtera peu ce parti pris de l’artiste et qualifiera les personnages de « bonshommes en bois pour une fantaisie égyptienne », en référence bien sûr à la manière singulière avec laquelle les Égyptiens de l’Antiquité représentaient les visages.

Huile sur toile • 207,6 cm × 308 cm • Coll. Institut d'art de Chicago • © Wikimedia Commons

Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte (détails)
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Georges Seurat, Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte (détails), 1884–1886

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Un sens caché ?

Au XIXe siècle, l’île de la Grande Jatte était aussi un lieu de prostitution. Ainsi, certains commentateurs ont vu dans l’œuvre de Seurat des allusions à la luxure. En témoigne la présence, assez curieuse, de cette femme qui pêche : ne serait-elle pas une « pécheresse » plutôt qu’une pêcheuse ? Un autre détail interpelle : le petit singe situé en bas à droite de la composition. Une petite pointe d’humour qui nous renseignerait aussi sur le statut de sa maîtresse – sans doute une demi-mondaine ! Seurat, mort prématurément d’une maladie infectieuse à seulement 31 ans, n’a, quant à lui, jamais validé cette lecture.

Huile sur toile • 207,6 cm × 308 cm • Coll. Institut d'art de Chicago • © Wikimedia Commons

Georges Seurat, Figures assises, étude pour “Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte”
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Georges Seurat, Figures assises, étude pour “Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte”, 1884

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Un travail de titan

Changement d’échelle ! Le sujet est on ne peut plus banal, et pourtant, Seurat, au grand dam de ses critiques, opte pour une composition monumentale, d’ordinaire réservée aux tableaux d’Histoire. Si, compte tenu des dimensions de la toile, l’artiste est contraint de peindre en atelier, il réalisera pendant deux ans un nombre important d’esquisses et d’études sur le vif (que Seurat appelait des « croquetons »). Une approche réfléchie et méticuleuse qui se détache de celle, bien plus spontanée, des impressionnistes.

Huile sur panneau de bois • 15,5 x 24,9 cm • Coll. Fogg Art Museum, Cambridge • © Wikimedia Commons

Retrouvez dans l’Encyclo : Georges Seurat Pointillisme

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