L'île de la Cité, énième mue

Publicité

L'île de la Cité, énième mue

Par
L'île de la Cité, vue depuis la tour Saint-Jacques, a encore sa physionomie antérieure à l'achèvement des grands travaux haussmanniens.
L'île de la Cité, vue depuis la tour Saint-Jacques, a encore sa physionomie antérieure à l'achèvement des grands travaux haussmanniens.
- Charles Soulier

previously. PREVIOUSLY | François Hollande présente ce 14 février un projet pour transformer l'île de la Cité, et penser le cœur de Paris d'ici 2040. L'île de la Cité offre un ensemble exceptionnel de paysages urbains et de monuments historiques. Récit en trois périodes avec photographies et peintures.

Trois mois avant l'élection présidentielle à laquelle il ne participera pas, François Hollande voit beaucoup plus loin dans le futur, en 2040 pour être précis. Le président de la République inaugure ce mardi 14 février à la Conciergerie à Paris l'exposition "Mission île de la Cité : le cœur du cœur", afin de présenter 35 propositions pour transformer l'île de la Cité. Ces idées émanent d'un rapport commandé par le président de la République et remis début décembre par le président du Centre des monuments nationaux Philippe Bélaval et l'architecte Dominique Perrault.

Refonte de la circulation, plus large place accordée aux piétons : les auteurs du rapport présentent des pistes concrètes et souhaiteraient ainsi voir, par exemple, les quais Sud transformés en promenade. Un parcours piéton irait du quai de la Tournelle à l'île Saint-Louis, des plateformes flottantes seraient créées pour des activités de loisirs (piscines, cafés, ateliers...), et deux nouvelles passerelles relieraient l'île de la Cité aux rives gauche et droite. Ce projet s'inscrit dans un long passé de chantiers qui ont tour à tour complètement modifié l'aspect du lieu. Pour argumenter leur vision future du cœur historique de Paris, le duo Perrault-Bélaval décline dans son rapport trois périodes qui décrivent les étapes successives du développement de l'île. Sur leurs traces, petite chronologie en trois temps.

Publicité
Île de la Cité, place Dauphine vers la rue de Harlay. Vers 1865
Île de la Cité, place Dauphine vers la rue de Harlay. Vers 1865
- Charles Marville

1 - De la période romaine au Moyen Âge, l'île de la Cité est le centre du pouvoir politique et religieux

L’île de la Cité est d’abord le cœur politique de la France. Dès le départ, des centres de pouvoir apparaissent : en aval de l’île fut édifié un palais où résidait le représentant de Rome. Le palais de la Cité devient le siège parisien du pouvoir royal. En 1190, le chroniqueur Gui de Bazoches l’évoque comme étant “la tête, le cœur et la moelle de Paris”. Et ce malgré une géographie naturelle peu encline au développement. “La première époque de l’histoire de l’Île de la Cité a été celle du temps long, d’un urbanisme organique, c’est-à-dire peu ou pas planifié, se développant par accumulation sur une étroite bande de terre trop souvent malmenée par la Seine” soulignent dans leur rapport Dominique Perrault et Philippe Bélaval.

Plan et description du quartier de la Cité au XVIIIe siècle, avec ses rues et ses limites
Plan et description du quartier de la Cité au XVIIIe siècle, avec ses rues et ses limites
- Jean-Baptiste Scotin

Mais progressivement, les besoins militaires et l'emplacement stratégique prévalent sur la nature compliquée du lieu, à tel point que l’île de la Cité devient aussi le cœur du pouvoir religieux. Pour réformer l’organisation des paroisses autour de douze chapelles qui se dressaient sur l’île, l’évêque Maurice de Sully lance la construction de la cathédrale Notre-Dame en 1163. Dès lors prédomine une division entre deux pôles : à l’Ouest de l’île se trouve le pouvoir politique, et à l’Est le pouvoir religieux. Le rattachement des îlots à l’île principale en 1607 sous le règne d’Henri IV, dans le but de construire le Pont Neuf et la Place Dauphine, finit d’en faire un lieu hautement symbolique de la capitale. Même si au fil des siècles l'île a pu perdre son rôle central au profit du Louvre ou de Versailles.

Le palais de la Cité au XVe siècle vu par "Les Très Riches Heures du duc de Berry"
Le palais de la Cité au XVe siècle vu par "Les Très Riches Heures du duc de Berry"
- Frères de Limbourg

2 - Le baron Haussmann fait table rase

Pendant des siècles l’île de la Cité se densifie, au point que la promiscuité devient insupportable. Arrive le Second Empire, Napoléon III et le baron Haussmann ouvrent alors une deuxième époque en appliquant avec rigueur un urbanisme hygiéniste et militaire. Ils opèrent une véritable saignée dans l’île. L'ancien Hôtel-Dieu est démoli et reconstruit en 1868. Ces transformations suscitèrent de vives oppositions compte tenu de la valeur historique de ce patrimoine. Au cours des années 1970, les architectes en charge du réaménagement du parvis marquèrent au sol les traces des anciennes rues, pour témoigner de cette époque révolue.

Rue du Marché aux Fleurs, du quai Desaix. Île de la Cité. Paris IVe. 1865.
Rue du Marché aux Fleurs, du quai Desaix. Île de la Cité. Paris IVe. 1865.
- Charles Marville (1813-1879)

Le baron Haussmann démarre ses travaux en supprimant de nombreuses ruelles résidentielles pour créer de grandes cours intérieures privées, ce qui nécessite 25 000 expulsions. La zone comprise entre le Palais de Justice et Notre-Dame fut entièrement rasée. Ces travaux ont certes un but hygiéniste, mais la portée sécuritaire du projet ne doit pas être oubliée. “On notera que les travaux d’Haussmann marquent un point de retournement dans l’histoire : après plus d’un millénaire à braver les eaux pour constituer de l’espace public, on s’affaire à le réduire pour mieux le surveiller” rappellent Philippe Bélaval et Dominique Perrault.

L'île de la Cité en 1855
L'île de la Cité en 1855
- Anonyme

3 - L’île de la Cité d‘aujourd’hui, entre tourisme et administration

L’île de la Cité d'aujourd’hui est marquée par sa vocation administrative (Préfecture de Police), judiciaire (Palais de Justice, Cour de Cassation et tribunal de Commerce) et sanitaire (Hôtel-Dieu), tout en étant le lieu de passage de 14 millions de visiteurs par an à Notre-Dame, un million à la Sainte-Chapelle, 500 000 à la Conciergerie. Voilà un mélange des genres qui permet à Philippe Bélaval, le président du Centre des monuments nationaux, et l’architecte Dominique Perrault de plaider pour une refondation. “Au milieu des façades hermétiques du Palais de Justice, de l’Hôtel-Dieu et de la Préfecture de Police, l’absence de définition claire du statut de chaque parcelle de l’espace public empêche l’appropriation de cette cité insulaire par la communauté”.

La Préfecture de Police vue depuis Notre-Dame sur un carte postale en 1900
La Préfecture de Police vue depuis Notre-Dame sur un carte postale en 1900
- Mémoire Vive

Pour écrire la troisième époque de l’île, il faut désormais tenir compte de plusieurs faits : le transfert à venir du Tribunal de grande instance de Paris dans le XVIIe arrondissement de Paris, l’incertitude sur les activités hospitalières de l’Hôtel-Dieu et les futures modifications des charges de la Préfecture de Police, suite à la réforme du statut de la Ville de Paris. Les principaux ensembles immobiliers de l’île sont ainsi concernés. Et puis aussi, le fait que Paris soit candidate à l’organisation des Jeux Olympiques de 2024 et de l’Exposition universelle de 2025. Autant d’échéances qui invitent à la réflexion sur le devenir de l’île.

Quai de la Mégisserie, Paris 2011
Quai de la Mégisserie, Paris 2011
- Sini Merikallio

Pour donner du poids politique à leur projet présidentiel, Dominique Perrault et Philippe Bélaval font entrer dans l'équation “la baisse constante de la population résidente, le faible taux d’occupation des trois parkings souterrains, l’explosion des locations touristiques de type AirBnB ou encore l’état insatisfaisant des commerces comme le Marché aux fleurs et aux oiseaux”. Mais rien ne dit que l'avenir de l'île de la Cité sera issu de la volonté de François Hollande qui quittera l'Elysée en mai prochain. Pour que le projet voit le jour, l'Etat et la ville de Paris devront se mettre d'accord. Sans parler de la question du financement, qui n'a pas pour l'heure été chiffré.