Rencontre avec Dominique Blais

Publié le par Miss Cinnamon


Dominique Blais est un artiste très occupé. Alors que son module au Palais de Tokyo vient de se terminer, et que son exposition à l'Ecole Municipale des Beaux-Arts Edouard Manet bat son plein, il a accepté de recevoir Art and You dans son atelier à la Cité internationale des arts.

 

Avez-vous, dès votre formation initiale aux Beaux-Arts de Nantes, travaillé sur cette notion de perception qui traverse toute votre œuvre ?

A l'Ecole des Beaux-Arts à Nantes, je travaillais surtout en vidéo, mais pas encore sur les problématiques qui m'intéressent aujourd'hui. En 1999, après les Beaux-Arts, je suis venu à Paris au Conservatoire National des Arts et Métiers, pour faire un DEA en Média et Multimédia. Une partie du cursus se déroulait notamment à l'IRCAM et j'ai commencé à m'intéresser aux outils informatiques que leurs ingénieurs développent. En parallèle j'organisais une programmation de musique électronique et expérimentale à Confluences, une salle dans le 20ème arrondissement de Paris. Le mélange de ces deux influences - musique et informatique - m'a amené à approfondir un travail autour du son. Ce qui m'intéressait, c'était précisément des aspects concernant les niveaux de perception, de ce qui est audible et inaudible, le bruit et le silence, les notions de seuil, etc... J'ai ensuite prolongé ces mêmes recherches dans le domaine visuel.


Parlez-nous des différentes résidences que vous avez réalisées.

En 2008, j'ai été accueilli en résidence à la Galerie, le Centre d'art de Noisy le Sec, et l'année précédente à la Villa Arson. Florence Forterre qui s'occupe du Dojo à Nice souhaitait m'inviter pour une exposition individuelle (12 octobre 2007 - 10 janvier 2008) et a proposé mon dossier à la Villa Arson pour une résidence de février et juin 2007. J'ai concentré mon travail sur l'écriture du projet d'exposition pour le Dojo, mais j'y ai aussi conçu et produit d'autres pièces.


Quel est l'influence d'un lieu où on est invité à créer ?

Il y a tout d'abord les rencontres, la relation qui s'établit avec le ou la responsable d'un lieu de résidence, les échanges avec l'équipe... Sur une durée de plusieurs mois, le développement du travail s'en ressent. Travailler à proximité de l'espace où je vais faire une exposition, cela me permet bien sûr de faire des recherches sur celui-ci, son contexte, son histoire, sa temporalité, mais aussi d'étudier comment le lieu résonne physiquement, son acoustique, et de nombreux autres paramètres. C'est ce qui s'est passé au la Galerie à Noisy-le-Sec : mon atelier était à 5 minutes du centre d'art, je pouvais régulièrement aller là-bas pour comprendre son « fonctionnement » puis par la suite faire des enregistrement de sons dans les salles d'expositions ou des espaces reclus du centre d'art. Ma proposition pour l'exposition « Visions Nocturnes » concernait l'émanation sonore du lieu, de ces sonorités ténues, entre-deux, que l'on a tendance à ne pas remarquer. Le centre d'art étant installé dans une ancienne maison de notable du XIXe autrefois habitée par des particuliers, j'ai donc travaillé sur l'idée d'un intérieur, avec un lustre en fer forgé dont les éléments lumineux sont remplacés par des modules de sonorisation. L'espace a été modifié pour lui apporter une certaine domesticité : nous avons fait réapparaître une fenêtre jusque là occulté et des moulures ont été posés au plafond et sur les murs.


Qu'attendez-vous des spectateurs que vous confrontez à des sons qu'ils écoutent, mais qu'ils n'entendent pas d'ordinaire ?

Au travers d'installations hypnotiques, contemplatives ou immersives, j'attends des spectateurs qu'ils s'arrêtent et passent du temps pour entrer dans mon univers. Il n'y a cependant aucun autoritarisme dans ma démarche, j'essaie de faire en sorte que ce soit une invitation. Je travaille toujours sur un rythme qui fait que les gens vont avoir envie de se laisser aller, de rentrer complètement dans le dispositif.


Votre exposition à l'école Edouard Manet s'appelle « Décélération », il semble que le temps joue un rôle prépondérant dans votre travail ?

Oui, cette exposition invite les spectateurs à ralentir pour écouter : dans trois salles, quatre œuvres sont présentées le long d'un parcours axé sur l'idée d'une accélération négative. Dès que l'on entre dans l'espace d'exposition, il y a quelque chose qui s'instaure de l'ordre du rythme, d'un temps déjà ralenti. L'exposition est pensée dans globalité, spatiale et temporelle.

Plusieurs personnes m'ont parlé de l'effet déceptif ou frustrant de la dernière pièce, Transmission, dont l'idée est la circulation démultipliée du signal sonore. Cette pièce est composée de deux baies de sonorisation (utilisées dans les régies de salles de concert) reliées l'une à l'autre par des centaines de mètre de câbles qui se répandent au sol. Dans la première, un lecteur CD joue un disque en boucle. La seconde est équipée d'un amplificateur qui reçoit le signal. Le son circule dans tous les câbles avant d'être restituer, non pas de manière auditive mais par une modulation lumineuse des vu-mètres qui indiquent la présence d'un signal. C'est un dispositif en circuit fermé, à la fois musical et silencieux.


Comment s'est déroulée l'organisation de votre Module au Palais de Tokyo ?

Mark-Olivier Wahler et l'équipe du Palais de Tokyo m'ont contacté pendant la préparation de l'exposition « Gakona » pour me proposer un Module. Les invitations sur les Modules se font sur un mode plus réactif, dans mon cas deux mois avant le vernissage. Je pense qu'il y avait un lien naturel entre mon travail et les thématiques abordées dans « Gakona ». J'ai commencé l'année dernière une série qui s'appelle « Les cordes », un ensemble de câbles électriques blancs répandus au sol et dont certaines sections se prolongent en néons (j'en présente d'ailleurs un exemplaire dans l'exposition « Décélération », en vis-à-vis avec Transmission). Cette pièce formalise l'idée de la modulation invisible de l'électricité, du flux. Le dispositif central présenté lors du Module était une extension de cette série : une table constituée de panneaux de bois et de tréteaux sur laquelle était disposés plusieurs Cordes. A proximité, j'avais installé Sans titre (Melancholia), un tourne-disque démantibulé suspendu en grappe, mais néanmoins actif. Le saphir jouait à l'infini le dernier sillon du disque et produisait une musique minimale faite de crépitements. J'ai imaginé la troisième pièce Passages, un chemin de câbles fictif que l'on découvrait dans une ouverture du plafond, par rapport à l'architecture du Palais de Tokyo.


Pourriez-vous me définir la notion de l'artiste ?

Un artiste donne à voir, écouter, ressentir sa vision des choses. Les formes possibles sont illimitées... J'aime travailler avec de nouveaux matériaux ou médiums, expérimenter, tester... Le plus important reste néanmoins d'apporter du signifiant à l'œuvre.


[Visuels : en haut, Dominique Blais, Sans titre (Les Cordes) 2008. Néons, câbles électriques, transformateurs. En bas : Dominique Blais, Sans titre (Melancholia) 3, 2008. Tourne-disque, disque, haut -parleurs, cables. Courtesy Galerie Xippas, Paris/Athènes]

 


Publié dans rencontres

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