PAUL-ARMAND GETTE /// MYTHOLOGIES TRIANGULAIRES

Parallèlement à l’exposition La Saisie du Modèle. Rodin 300 Dessins 1890-1917 est présentée une exposition monographique de Paul-Armand Gette : Artémis et ses Nymphes, au Musée Rodin à Paris. Formée d’une trentaine de dessins, l’exposition intimiste nous permet de revenir sur une œuvre marginale et sans compromis. Deux de ses sujets de prédilection y sont mis en lumière : le modèle et la nature. Le corps des femmes compris comme un paysage, un territoire inconnu, est la base d’une production protéiforme : dessin, photographie, écriture, peinture, vidéo, où chaque medium est en véritable osmose l’un avec l’autre. Doux provocateur, Paul-Armand Gette explore l’intimité, l’érotisme et les détails des corps de ses modèles. Des corps désinhibés, candides ou réservés, qu’il ausculte, camoufle, dévoile, sublime, contemple et métaphorise.

Depuis les années 1970, Paul-Armand Gette (né en 1927, à Lyon), qui a partagé la scène parisienne aux côtés d’Annette Messager, Christian Boltanski, Sarkis ou encore Jean Le Gac, formule une œuvre discrète et singulière à travers laquelle s’expriment ses obsessions liées aux figures féminines. Réelles ou mythologiques, les femmes traversent son imaginaire peuplé de nymphes, de déesses, de sexes féminins, de formes généreuses et de natures mortes composées de petites culottes. Des corps qu’il juxtapose avec sa conception du paysage et de la nature. Une nature examinée avec minutie, une caractéristique transmise par sa formation scientifique. « Mon goût pour les femmes vient de mon enfance. Je m’étais lié d’amitié avec une petite fille qui collectionnait tout : les papillons, les fleurs, les plantes. Elle m’a embrigadé, en quelque sorte, et ça m’a donné le goût des sciences. Et comme je la trouvais très plaisante, ça a marqué toute ma vie. »[1] L’art, la science et l’érotisme s’hybrident. Avec un sens aigu de l’observation, Paul-Armand Gette représente de manière compulsive le sexe féminin. Ses dessins en constituent un répertoire saisissant. Composés de formes triangulaires, ils font non seulement appel à un univers de fantasmes et de sensualité, mais aussi aux sens : le goût, la vue, le toucher, l’odorat. La craie fraie avec de la confiture, de la boue ou de la salive, le papier avec l’encre et la peinture, le crayon avec l’oxyde fer, déployant ainsi une palette de sensations, de troubles et d’associations.

Il ne faut pas y voir un goût immodéré pour la géométrie, mais plutôt une passion géographique pour la figure de l’espace des délicieuses perditions. Figure, figure ce n’est rien d’autre qu’une manière de parler, car, depuis le temps on doit commencer à savoir qu’elle ne m’intéresse guère. Si je suis violemment contre sa dissimulation, je suis tout aussi contre cette manière d’y remonter le corps tout entier.[2]

Les déesses Artémis et Aphrodite (Diane et Vénus) sont deux figures récurrentes dans son œuvre. L’une guerrière, Artémis, déesse de la chasse, l’autre douce et lascive, Aphrodite, déesse de l’amour. Elles incarnent deux pôles féminins opposés et complémentaires. Aux déesses s’ajoutent les nymphes, synthèses métaphoriques de la femme et de la nature. Paul-Armand Gette représente les sexes de ces femmes mythiques, allant même jusqu’à dessiner leurs menstruations. Il se joue des métamorphoses et des possibilités que lui offrent le trait, la couleur et la matière. Il explore un éventail infini de formes suggestives tantôt innocentes et poétiques, tantôt indécentes et impudiques.

De sa formation en botanique et d’entomologiste, il a conservé un goût de la précision, de la référence et de la rigueur. Ses dessins entremêlent naturalisme et esthétisme, ils renferment des messages subtils et implicites, que le regardeur se doit de décoder. La nymphe, jeune femme associée à la beauté et à la séduction, est une déesse subalterne liée aux fontaines, aux bois, aux montagnes ou aux rivières. Etymologiquement, la nymphe est aussi l’état de métamorphose de la larve à l’insecte ou encore le nom scientifique des petites lèvres du sexe féminin. La nymphe, formule synthétique de ses préoccupations, est l’élément perturbateur et moteur d’une production multiréférentielle, érudite et poétique.

Enfin Nymphe ou déesse d’un rang supérieur, les deux me conviennent très bien et me procurent des sujets d’une grande variété, qu’ils soient d’ordre plastique ou du côté de la réflexion, d’autant que je suis amoureux de tous les sens que peut prendre le mot nymphe. Des divinités qui hantent les lieux les plus plaisants aux petites lèvres du sexe féminin en passant par l’état intermédiaire entre la larve et l’imago, puis la belle fleur habitante des eaux dormantes chère (…) à Claude Monet, je vais pouvoir les associer, et même glisser de l’une à l’autre, en somme pratiquer l’art du débordement.

 Le passage entre Rodin et Gette se fait grâce à la figure du modèle, sujet obsessionnel pour les deux artistes. Depuis toujours, les rapports entre l’artiste et son modèle fascinent le public, une relation idéalisée, fantasmée et imaginée que Paul-Armand Gette fouille et déconstruit dans son œuvre. Chacun de ses dessins révèle une partie de l’intimité de cette rencontre mystifiée. Le modèle n’est jamais anonyme et oublié, bien au contraire les moments passés avec l’artiste participent pleinement de la réalisation des œuvres. Le nom du modèle est apposé sur chaque œuvre, il fait partie du processus créatif. L’ambigüité, la provocation et la métaphore font de l’œuvre de Paul-Armand Gette un espace de libertés, visuelles et critiques, où le corps des femmes est finalement extirpé des stéréotypes et réducteurs. L’artiste se glisse avec délectation dans les interstices de la subversion, loin d’une bienséance exigée. Il formule une œuvre inclassable, hédoniste et hybride. « J’ai choisi de me situer sur les lisières, c’est précisément pour garder une certaine acuité visuelle, que l’o perd instantanément lorsqu’on entre dans ce que j’ai appelé la « compacité des choses ». À l’intérieur d’une forêt, on ne voit plus rien ; à la rigueur on se perd. Je préfère m’aventurer sur les bords. »[3]

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 Exposition Paul Armand Gette – Artémis et ses Nymphes, Musée Rodin à Paris, du 21 octobre au 31 décembre 2011. Plus d’informations : http://www.musee-rodin.fr/

Blog de Paul-Armand Gette : http://www.paularmandgette.com/

Paul-Armand Gette est représenté par la GalerieJeanBrolly : http://www.jeanbrolly.com/

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Article pour la revue Inferno:  http://ilinferno.com/2011/11/15/paul-armand-gette-mythologies-triangulaires/


[1] LACASSE, Marie-Eve. « Quelques Questions à Paul-Armand Gette » in Vice. En ligne : http://www.vice.com/fr/read/quelques-questions-a-paul-armand-gette.

[2] GETTE, Paul-Armand. « Proposition Triangulaire » in Blog de l’Artiste, mai 2007. En ligne : http://www.paularmandgette.com/2007/05/29/proposition-triangulaire/.

[3] COULANGE, Alain. « Conversation : Paul-Armand Gette / Alain Coulange » in Particules, n°30, novembre 2010.

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