DANIEL KNORR, ‘FLAGSHIP STORE’, IKOB EUPEN

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Daniel Knorr – Flagship Store – IKOB Eupen (BE) – 02.03.–25.04.2021

Lors de la 14e documenta de Cassel en 2017, les passionnés·es d’art du monde entier pouvaient assister à un spectacle troublant : une fumée se dégageait en permanence du haut de la tour du Fridericianum. Ce qui ressemblait à un début d’incendie était en fait une installation de Daniel Knorr. Précédemment, dans la partie athénienne de la documenta, l’artiste s’était fait archéologue du quotidien. Collectant déchets et artefacts mis au rebut dans les rues de la ville, il les transformait en catalogues grâce à une énorme presse à déchets – des pièces uniques que les visiteurs·euses pouvaient ensuite acquérir. Considéré comme un maître du détournement sémantique, Daniel Knorr est aussi connu pour ses œuvres qui appellent la participation des visiteurs·euses.

L’IKOB – Musée d’Art Contemporain présente la première exposition de Daniel Knorr en Belgique, une exposition qui offre une synthèse de son travail de sculpture au cours des trois dernières années. Si le titre choisi par Daniel Knorr pour cette exposition, « Flagship Store », fait bien entendu écho aux temples de la consommation de symboles de la mondialisation tels qu’Apple, Louis Vuitton ou M&Ms, c’est aussi une référence à la propre marque de l’artiste, construite au fil de sa carrière. Dès les débuts, l’artiste avait eu l’idée de ne pas se limiter à la production des œuvres d’art, mais de prendre également en charge lui-même leur marchandisation. Si l’idée résultait d’un raisonnement pragmatique, elle n’en recèle pas moins un potentiel critique au regard d’un système de l’art où la division du travail reste aujourd’hui encore très marquée. Cette idée a resurgi dans les travaux récents de l’artiste, où il en explore les différents aspects. Regard malicieux sur l’histoire de l’art, questionnement du système de l’art contemporain hors des dogmes et jeu avec les codes de la pop culture sont les fils rouges de l’exposition.

La première « Coyote Sculpture » accueille les visiteurs·euses dans l’entrée de l’IKOB. De sa présence fantomatique, cette silhouette humaine ponctue l’espace, comme recroquevillée sous son voile de tissu. Daniel Knorr fait ici référence à la légendaire performance de Joseph Beuys « I like America and America likes Me », réalisée en 1974 dans la galerie new-yorkaise René Block, pour laquelle l’artiste s’était enfermé avec un coyote, dans une pièce inaccessible aux visiteurs·euses. La principale trace qui restera de cette action est une photo emblématique, montrant un Beuys enveloppé dans son manteau de feutre, en dialogue avec le coyote. Ici, Daniel Knorr détache le matériau feutre de ce personnage de l’histoire de l’art auquel il est si étroitement lié. En venant y déposer une couche de polyuréthane, il introduit dans l’espace la question de ce qui, dans ce dialogue inégal entre homme et animal, a pu bouger entre hier et aujourd’hui. D’autres œuvres célèbres de l’histoire de l’art, telles que le carré noir sur fond blanc de Malevitch (1915), auxquelles répond le graphisme d’un économiseur d’écran Apple obsolète, sont citées comme les points de repère et les signes de l’individu contemporain.

La série « Berlin Wall Nuggets » témoigne de l’intérêt de l’artiste pour la grammaire urbaine de la capitale allemande et pour les empreintes que la guerre froide y a laissées. Un terme qui est à prendre au sens littéral, puisque Daniel Knorr s’est attardé sur d’infimes anfractuosités, dans les murs et sur le sol de la ville, moulant leurs empreintes pour en faire des tirages. Ces petits objets de résine évoquent la relique, l’objet de dévotion, mais aussi ces fragments du mur de Berlin, vendus à tour de bras aux touristes depuis 1989.

L’enjeu de l’installation « Calligraphic Wig » (2019) réside dans la découverte d’un nouveau langage dans la substance même du plastique, ce matériau omniprésent dans notre environnement. En visitant une usine de recyclage à Hong Kong, l’artiste a pu assister au processus au cours duquel le plastique usagé est broyé pour être refondu en une matière première filiforme. Les nombreuses interruptions de la machine, dues à la maintenance ou à des problèmes techniques au cours du processus, produisent des résidus aux formes arbitraires et erratiques, possibles fragments d’un alphabet inconnu, spécimens d’abysses inexplorés ou fragments de corps à l’anatomie nouvelle. Pour leur permettre de regagner la circulation des objets-marchandises, l’artiste a apprêté ces artefacts avec les peintures de fabricants automobiles.

Les « Canvas Sculptures » de Daniel Knorr nous fournissent des indices sur sa façon d’appréhender l’histoire de l’art. À la manière d’un aller-retour entre sculpture et peinture, entre le présent et l’historique, ces œuvres citent des toiles emblématiques de l’art moderne tout en altérant la bidimensionnalité de leurs repères. Les ondulations et les plis qui en résultent transforment l’image en objet et placent les visiteurs·euses dans le rôle d’explorateurs·trices d’un art fait de la sédimentation d’œuvres iconiques et de leurs reproductions. Cette voie permet de questionner le statut de l’image et de la représentation, à la croisée de nos systèmes de connaissance et de nos modes de consommation.

Daniel Knorr est né à Bucarest en 1968. Après une formation à l’académie des beaux-arts de Munich auprès d’Olaf Metzel, une bourse du DAAD lui permet de poursuivre ses études au Vermont College of Fine Arts, en 1994, pour ensuite séjourner à New York de 1995 à 1997. Travaillant à Berlin depuis 1998, il partage depuis quelques années sa vie entre Berlin et Hong Kong. En 2005, il expose dans le pavillon roumain à la biennale de Venise. Son œuvre « Expiration Movement » (2017) sera l’un des travaux les plus commentés de la 14e documenta. Il compte depuis comme l’un des artistes les plus importants de sa génération.
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At the documenta 2017 in Kassel, Germany, art enthusiasts from all over the world witnessed a bewildering spectacle. White smoke was constantly rising from a tower of the Fridericianum Museum. What seemed like a fire was actually an installation by the artist Daniel Knorr. Previously, in the Athens section of the documenta, he had acted as a kind of archaeologist of everyday life, using a monumental scrap metal press to transform found and worthless objects he had picked up on the streets of Athens into catalogues, which visitors could purchase as unique items. Knorr is regarded as a master of shifting meanings as he invites viewers to participate in his art.

IKOB – Museum of Contemporary Art now presents Knorr’s first solo exhibition in Belgium, an overview of his sculptural work of the last three years. The title of the exhibition, Flagship Store, refers not only to the temples of consumption of global brands such as Apple, Louis Vuitton or M&M’S, but also to the artist’s own brand that he has crafted over the course of his career. The idea of not only producing his art but also selling and marketing it in his own ‘shop’ stems from the beginning of his career as an internationally sought-after artist. In light of the contemporary art market’s intricate divisions of labour, this idea holds critical potential that comes to the fore in distinct ways through Knorr’s recent works. Playful reflections on art history, undogmatic questioning of the art system, and mixtures of high and low cultural signifiers run as a thread through the exhibition.

On the ground floor of IKOB, visitors are greeted by the first work from the Coyote Sculptures series: a ghostly appearance, like a stooped human figure covered in a large cape. The work refers to the legendary performance I like America and America likes Me (1974), for which Joseph Beuys locked himself up with a coyote at René Block Gallery in New York. An iconic photograph documenting this action shows Beuys wrapped in a felt coat in dialogue with the coyote. Knorr detaches the felt from its art historical crutches, places a new polyurethane layer over it and questions the unequal dialogue between animal and human from then to now. The motif of a retro screen saver by Apple serves as a protective cover, just as Malevich’s Black Square (1915) does for the Coyote Sculpture on the first floor.

The series Berlin Wall Nuggets explores Knorr’s interest in the language of the German capital’s built environment, and in particular the imprint left on the city by the Cold War. In this case, he takes imprinting literally, as he finds small depressions in the city’s floors and walls, moulds their shapes and casts them in the studio. The resulting small-format objects made of synthetic resin are reminiscent of devotional objects or relics, or of the pieces of the Berlin Wall that have been sold to tourists in large quantities since its fall.

The concept of the large installation Calligraphic Wig (2019) on the first floor of the museum is the discovery of a new language that makes use of today’s most widely used material: plastic. The artist visited a recycling plant in Hong Kong where plastic is shredded and melted into strings for reuse. In this recycling process, the machine is often interrupted. Due to breakdowns and maintenance work, uncontrolled entities emerge in the form of fragments of an unknown alphabet, undiscovered underwater creatures or never-before-seen parts of an alien body. To bring these objects back into circulation, the artist painted them with the colours of various car manufacturers.

With his Canvas Sculptures, an important strand of Knorr’s practice recurs: the pendulum swing between sculpture and painting as well as art history and the present. These wall objects quote paintings of classical modernism and appear as if the artist were detaching these famous paintings from the canvas. Knorr creates folds that turn the painting into a three-dimensional object, using superimpositions of iconic art historical images to question their status in our world of knowledge and consumption.

Daniel Knorr was born in Bucharest in 1968. After studying art at the Academy of Fine Arts with Olaf Metzel in Munich, Knorr went on a DAAD scholarship to the Vermont College of Fine Arts in 1994 and then to New York from 1995 to 1997. He has been working in Berlin since 1998 and lives between Berlin and Hong Kong. In 2005, he represented Romania at the Venice Biennale. With Expiration Movement, he created one of the most frequently cited works in the context of documenta 14 in 2017 and has since been considered one of the most important artists of his generation.

Image: Vue de l’exposition, Daniel Knorr: Flagship Store, © IKOB – Museum für Zeitgenössische Kunst, Photo: Bernd Borchardt

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