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Exposition à LausanneLe MCB-a nous invite à entrer dans les œuvres 

Tout rose comme chez Barbie! Une immersion de Ferdinand Spindel reconstituée à Lausanne.

Il y a par endroits des petites billes blanches de polystyrène égarées. Ou du duvet de canard retombé en neige sur le sol. Plus quelques paires de chaussures. A certains endroits du Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, il n’est plus permis de marcher en ce moment. Comme dans les mosquées. Avec «Immersion» (au singulier), l’institution propose une promenade sur deux étages parmi les œuvres des années 1949 à 1969 où les visiteurs peuvent entrer. Leur remontage a posé des problèmes, même si les choses ici vont vite. Il y a quatorze immersions. Quatorze pour faire aller le public du Lucio Fontana historique de 1949 au «Pénétrable» du Bolivien de Paris Jesùs Rafael Soto, imaginé vingt ans plus tard. De quoi plonger, au propre comme au figuré, dans l’effervescence d’une époque où les galeries se voulaient souvent expérimentales. Les musées avaient alors des années de retard. Pensez que le premier en Europe spécifiquement destiné à l’art contemporain (le Museum für Gegenwartskunst de Bâle) a ouvert ses portes en 1980!

Duo de commissaires

Derrière l’exposition du MCB-a se trouve un tandem composé de Choghakate Kazarian et de Camille Lévêque-Claudet. Elle à New York. Lui à Lausanne. Le duo de commissaires a été formé en 2016 à l’occasion d’une rétrospective Piero Manzoni dans l’ancien bâtiment de l’institution, place de la Riponne. C’est logiquement le second qui a répondu à mes questions.

Choghakate Kazarian et de Camille Lévêque-Claudet en 2016 lors de la rétrospective Manzoni.

Quelle est la genèse d’une exposition si complexe à réaliser?
Nous sommes toujours restés en rapport, Choghakate et moi. Nous avons correspondu durant les confinements. Le sujet était notre rapport au numérique. Le public n’avait temporairement plus accès aux œuvres. Il fallait trouver des substituts. Il s’est alors tenté bien des expériences virtuelles, afin que le lien ne soit pas rompu. La réponse du public a d’abord été enthousiaste. Puis le succès s’est émoussé. Nous avons alors mesuré à quel point le rapport direct restait important. Des gens sont du reste venus nous remercier, quand la Suisse a rouvert ses musées, bien avant d’autres pays. Des retrouvailles étaient permises. D’où notre idée de présenter des pièces dans lesquelles les gens pouvaient littéralement entrer.

Du côté de James Turrell

Est-ce là l’unique point de départ?
Non. Nous étions aussi au moment où, un peu partout en Europe, des entrepreneurs de spectacles proposaient des plongées dans le monde de Gustav Klimt ou de Vincent Van Gogh, en attendant Frida Kahlo. La chose nous paraissait dénuée de sens. Klimt a volontairement peint des surfaces fixes et plates, qui se voyaient transformées en choses dotées de relief et de mouvement. Il existait en revanche des œuvres conçues à la base pour plonger le visiteur dans un univers entièrement créé par l’artiste. La chose possédait un historique impressionnant. Certaines inventions dataient de plus de septante ans. Il semblait bon de les regrouper une fois afin de raconter le développement d’un genre au départ très simple. La pièce inaugurale de Lucio Fontana, proposée à la Galleria del Naviglio de Milan en 1949, se résume à du papier mâché, des couleurs fluorescentes, six lampes de Wood, plus de la peinture et des rideaux noirs.

Pourquoi 1969 comme point d’arrivée?
Parce que la conquêtes de la Lune se voit actée à ce moment. Les cosmonautes ont fait pour de bon quelques pas sur notre satellite. En quelques mois, nous sommes passés d’une fiction à la réalité puisque «Luna» de Fabio Mauri date de 1968. Le public marchait alors sur Terre, Galleria La Tartaruga de Rome, en foulant des plaques de polystyrène. L’art contemporain passe ensuite à autre chose, avec des installations et des environnements.

Conservée dans son jus depis 1958-1959, la pièce de Pinot Gallizio.

Quels ont été le critères de vos choix?
La possibilité d’obtenir les œuvres, ou au moins le droit de les reconstituer comme c’est le cas avec «Hole in Home», construit en 1966 par Ferdinand Spindel dans un appartement de Gelsenkirchen. Si nous disposions de la pièce originale, nous voulions que les gens puissent y pénétrer, en foulant le sol. Le cas se posait avec les propriétaires de la «Caverne de l’anti-matière» (1958-1959) de Pinot Gallizio, demeurée intacte. Sans la promesse de son libre accès, nous ne serions pas entrés en matière. Il nous fallait des choses utilisables. Les gens devaient percevoir qu’ils n’étaient face ni à un spectacle, ni à une scénographie. Nous voulions aussi présenter uniquement des immersions réalisées à l’époque. Pas des projets que nous aurions matérialisé un demi-siècle plus tard.

Voilà qui a dû poser des problèmes…
Nous avons beaucoup discuté. Longtemps préparé. Certaines œuvres soulevaient des questions, comme le Spindel. Il fallait retrouver de la documentation d’époque permettant mieux qu’une évocation. Nous recherchions l’effet original, dont vous voyez le plissé rose. Pour d’autres immersions, nous avons pu bénéficier de recherches antérieures. Avec trois artistes encore vivants, des contacts demeuraient possibles. Judy Chicago nous a ainsi demandé d’actualiser «Feather Room» de 1966. Elle s’était sentie à l’époque limitée par la technique. Nous allions créer ce qu’elle aurait aimé pouvoir réaliser il y a plus de cinquante ans à Los Angeles.

Chez Jesùs Rafael Soto.

Quelles limitations avez-vous subies, Choghakate et vous?
L’espace à disposition. Le budget. Les forces physiques. Il demeurait impossible de reconstituer le «Hon» de Niki de Saint Phalle, qui mesurait à Stockholm vingt-trois mètres de long en 1966. Un exercice comme celui-ci nous astreignait par ailleurs à une certaine diversité afin d’éviter le sentiment de répétition. Il en fallait pour tous les sens, de la vue au toucher en passant par l’ouïe avec un Robert Morris de 1961.

Qu’est-ce qui vous semble le plus marquant, dans l’exposition actuelle?
Le déplacement géographique. Quand on parle d’art contemporain, on pense généralement pour cette époque aux Etats-Unis. Or faites les comptes. Sur les quatorze propositions réunies au MBC-a, six se révèlent d’origine italienne. A l’époque du «boom» économique, les galeries de la Péninsule connaissaient une vitalité extraordinaire. Il y a aussi l’Allemagne et la France. L’Amérique du Sud se voit évoquée dans le livre d’accompagnement, qui n’est pas à proprement parler un catalogue. Nous ouvrons enfin «Immersion» avec un Suisse, Christian Megert, qui insère le visiteur dans un jeu de miroirs imaginé en 1968.

Pratique

«Immersion, Les origines: 1949-1969», Musée cantonal des beaux-arts (MBC-a), 16, place de la Gare, Lausanne, jusqu’au 3 mars 2024. Tél. 021 318 44 00, site www.mcba.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h. Le livre d’accompagnement, qui fait remonter le sujet jusqu’à une chambre conçue pour le Palazzo Te de Mantoue par Giulio Romano en 1535, a paru chez Hazan. Il compte 152 pages.

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